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    Flou. La vision floue, des mouvements flous, brusques, saccadés et aériens. Il se pose sans trop savoir où. Bien trop loin. Loin d'avoir conscience du moment présent et de ses faits et gestes. Devant lui se dresse un mur de poussière. Les volutes opaques reflètent les lumières ambrées des vieilles lampes de l'hôtel en ruines.

    Sa main sort au-delà des murailles de velours qui bordent son siège. Elle tâte brusquement la table, jusqu'à y trouver les allumettes. Quelques centimètres plus loin, elle y trouve un cône d'une belle herbe. Avec difficulté, les doigts plongent dans la boite afin d'en extirper l'un des petits bouts rouges cramoisis. Sous l'oppression étincelante, il s'enflamme, d'une belle goutte lumineuse et lascive. Au contact de l'herbe roulée, un petit crépitement se laisse entendre, avant la longue expiration. L'atmosphère lourde du lieu, peuplée de poussière, de vieilles histoires, d'une opacité ambiante incrustée dans l'air par toute la fumée des derniers jours, accueille alors une nouvelle invitée. Celle-ci se constitue de longs filaments grisâtres. Ils rappellent les longs cheveux fins de l'homme qui consume sa propre pensée. Le poison lui redonne une vision qu'il semblait avoir perdue. Ses sens s'inversent, voguent à contre courant, dans une mer épicée où chantent des sirènes au visage de fantôme. Il lâche un rire faux.

    Les minutes s'écoulent, il les voit lui-même s'égrainer une à une dans le sablier qu'il ne se force même pas d'imaginer. Du revers de la main, il l'écarte violemment avant de se lever. L'objet se brise sans un bruit, avant de chuter et de s'effacer. L'homme ne réalise même pas qu'il touche sa conscience, ces images façonnées par son imaginaire, ces chimères métaphoriques suscitées par les drogues. Il ne réalise pas que ces dernières le font plonger dans la saleté obscure d'un fleuve pollué. Il s'y laisse porter bien que le  courant suive difficilement le chemin qui lui est attribué, ralenti par les souvenirs brûlés.

    Ainsi debout, ses jambes lourdes, et sa tête d'autant plus, il titube jusqu'à la commode en acajou abîmée par le temps et une obsession d'abandon et de destruction dans ce lieu. Peinant à en ouvrir le premier tiroir, il réussit finalement, et en sort une seringue. Contenant un liquide étrange, il l'empoigne fermement malgré son état de faiblesse, traduction d'une volonté sans faille. Il jette un coup d’œil au matériel utilisé plus tôt pour obtenir le poison qu'il s'apprête à s'injecter. Rien ne manque. Les Autres lui reprocheront de n'en avoir laissé. Il culpabilise une seconde puis oublie cette idée en refermant le tiroir. Une fois retourné, il s'aperçoit de la détresse de la pièce où il se trouve. L'opacité étouffante voilant les rayons d'une lumière artificielle. De vieux meubles, au milieu de murs où s'étendent des affiches et des cartes postales du siècle dernier. Chaque chose semble fragile, pourrait-on les détruire au premier toucher ? Ne restent qu'une lignée de bouteilles vides, appartenant aux Autres. Un seul rayon solaire passé entre les lourds rideaux vient faire briller faiblement le verre de celles-ci. Une image pure dans un ensemble sale.

    Une fois assis à nouveau dans son fauteuil de velours, l'homme s'injecte sa dose journalière. Un peu plus, pour ne pas gâcher le peu qu'il resterait. Un peu plus, pour monter plus haut, et partir plus loin. Son visage pâle et froid presque endormi dans le coin du siège, son corps semble fané. Semblable à une nature morte. Une nouvelle définition de la beauté.


    Sans savoir si l'éternité est passée ou non entre ces deux moments, l'homme somnolant semble prêt à sombrer dans l'inconscience. Les lèvres bleuies et les yeux révulsés, il s'écroule, au moment-même où l'une des Autres entre. Apeurée par la chute de son camarade d'évasion, elle se précipite vers lui, prouvant sa sobriété surprenante. Pourtant peu proche de l'homme, elle s'apprête instinctivement à l'aider. La respiration faible et la peau glaciale, il ne répond plus que par quelques propos incohérents avant de ne plus pouvoir prononcer un mot. Ce silence est une répercussion de celui qu'elle observe en cherchant son pouls. Plus un seul signe. L'homme qui souhaitait partir loin s'est alors évadé. Ailleurs.

     


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    Faites sonner les tambours de guerre.
    Alors que certains s'emmêlent dans leurs sanglots, restent assis là, embarrassés, à défaire les nœuds de leurs pensées, d'autres les prennent en main et s'en servent pour battre la mesure. Oui, utiliser ses faiblesses comme un instrument. Faire peu à peu le tri, inspirer, laisser son corps s'exprimer au rythme du présent. Nul besoin de chaînes, de simples attaches suffisent.

    Raisonnée et retrouvée, je me lance ce défi. Puiser dans les ressources primaires, l'essence même de la vie, les arômes particuliers et les picotements au cœur. Retrouver la force, la foi, l'énergie. La confiance. Je saurai trouver les ingrédients, le temps fera le reste. Je n'aurai plus qu'à boire le précieux breuvage avec délicatesse. Ce corps chétif et atrophié de toute ardeur retrouvera alors la pureté de l'enfance mêlée à la flamme de l'avenir. Une véritable danse. Un flambeau éclatant et éthéré.




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  • Prayer.

         C'est ainsi que je traverse les jours. Chaque fois prête à bondir sur la proie. Je recrache les mensonges qui ont immergé mon corps dans le sang. Je gèle mes sourires à travers le feuillage des branches éclaircies. Mes escapades se font plus nombreuses, les lieux plus variés, les frissons plus intenses. Anadyomène, purifiée et pardonnée par la Mère qui accueille mon essence en ses mains, telle de l'eau qu'elle garderait contre sa peau le temps de s'y abreuver. Elle y dépose ses lèvres rouges et mystiques. J'ai traversé si peu d'âges que sa soif est apaisée par l'orgueil de ma jeunesse. Force et vitalité composent la foi des hommes, qui nourrissent leurs divins par l'offrande de leurs prières. La confiance est la clé maîtresse du jeu, le lien ultime. Nul besoin d'intermédiaire ou de précieux bibelots. Chaque souffle qui caresse votre chevelure, chaque racine qui sort de la Terre, chaque silence écouté, chaque chuchotement dans l'éclat du Soleil, chaque nuage qui vous offre son corps pluvieux crée le lien. La divine beauté du monde réside dans les sens de celui qui sait la percevoir.




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