• « Mes cheveux saignent du vin. Les gorgées s’écoulent entre les gouttes d’eau, je les regarde perdre vie, avant d’étreindre ma cheville. Y sont gravées des marques de crocs, deux creux dans ma chair. Succube oublié, refaisant surface le temps d’une impudeur. Les questions se mêlent au délice de l’ignorance.

       Chercher du regard le martyr. Cette veine, luisante et pourtant se dégradant.. D’un indigo à un pourpre. Toujours un creux, cette fois-ci épuisé, encore drainé. Le sang y a tout autant fugué. 

       Je m'éloigne. Mon corps est présent, oui. Mais mes songes sont déjà loin. Les visions s'ajoutent aux émotions. Mes paupières ne veulent pas tomber, et mon éveil est prolongé. Je ne cherche pas d'issue car le bien-être m'absorbe. Le goût est lui aussi amené à moi, sur un plateau d'argent. Mon repas est sans fin et coule le long des parois glacées. Et je me régale de cette folie. »

     

     

    Elle est un peu le centre d'un tout. Elle est le cœur, les poumons, le lieu de naissance, celui de départ pour la mort. La Terre. Et quand elle danse, sa robe blanche reconstitue les nuages qui tournent chaque jour autour de la planète. Robe peu maculée, mais les taches sont présentes.

    Elle n'a pas pu s'empêcher, elle a cueilli les fruits et les a dévorés. L'horreur criait sous ses puissantes mâchoires pleines de jeunesse. Elle pouvait savourer chaque bouchée. Et elle ne s'en est pas privée, tout était devant elle, ce n'était qu'un travail inachevé.

    Elle n'aime pas les choses incomplètes. C'est pour cette raison qu'elle s'est chargée de finir. L'arme, déjà préparée, se tenait dans ses mains. Elle s'est jetée sur ses proies. Crime parfait.

    Elle était la prédatrice, cachée dans l'ombre, ou plutôt sous le visage d'une jolie innocente. Son teint pâle était illuminé par les ténèbres : ces yeux vermillon, poignards du regard.

    Elle avait craché son venin de talentueuse vipère sur ses victimes. Les cadavres gisaient, tels des pétales de rose rouge, fanés, tombés au sol. 

    Elle les avait tués. Ce n'étaient que des enfants. Mais des sourires et des fruits d'amour adultes de trop, pour elle. Ses doigts tremblent sur le tissu qui l'habille, les frottements se colorent de la couleur du sang. Agrumes trop juteux.

    Elle contempla le spectacle qu'elle venait de jouer. Quelques taches rougeâtres, sur sa robe trop claire. Quelques regards vides, étendus, tout au bord. Quelques soleils éteints, dans ses yeux rassasiés.

    Elle imbibe les corps de son alcool, une rivière trop pure, laissant les nuages secoués autour d'un astre indifférent face au massacre réalisé.

     

     

    Se contenter d’une mémoire atrophiée, de souvenirs gelés, pour laisser la braise à cette passion déjà consumée. C’est un conte macabre dont les pages gisent, déchirées au bord du lac. La femme y est assise, la chair dévorée, morsure du mal et remords assidus. L’essence du Malin plantée dans ses lèvres comme dans ses fines mains. Elle a signé le pacte, et la paix s’est recousue dans le fond de ses entrailles. Les cils frémissants et la bouche entrouverte, elle contemple son reflet dans l’eau écarlate. Narcisse sanglante, errance dangereuse.. Le carnage éternel visible dans l’infusion de la haine, l’héritage des naïades mêlé à la caresse du Diable. La dame hérétique et enchanteresse se ferme à jamais.

     

     


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       Se noyer dans les rues vides d'individus. Faire croire que le temps nous appartient, et qu'on pourra toujours compter sur lui, alors que ce sont ses battements qui content nos vies. Vient l'instant où les aiguilles transpercent la chair pour nous ramener à la réalité.

     

       Une dernière inspiration. Je jette cette cigarette qui s'allonge sur les pavés sales en une étincelle rouge. J'ai pu voir ses paupières nacrées se fermer dans la nuit.

       Le drap est lourd. Sa surface est contrastée à cause des filaments lunaires qui hantent la vitre trouble. Il est parsemé de tabac et de bouts d'ongles. Une tache de café se noie dans un coin de tissu. Des cheveux sont agrippés à mes rêves, je ne sais plus d'où ils proviennent. Tellement se sont enchaînés, emmêlés, enlacés. Des étreintes à filer. Une pelote d'espoir.

       Ces essais pour me rassurer sont vains. Quelqu'un s'est infiltré dans mes veines pour m'empoisonner d'une mélancolie incertaine. J'hallucine encore.

     

     

    Il y a eu d’abord ces rêves, toujours ces mêmes forces qui m’enivraient, ces tentacules qui m’enserraient au creux de moi-même. J’avais le cœur enrobé peu à peu par une névrose. J’avais conscience que quelque chose changeait, mais ne sachant la définir, ne sachant même en parler, j’avais abandonné mon corps à ce terme inconnu. Puis lorsque je compris, ce soir où tout changeât, je décidai que je me donnerais à un simple mot.

     

    Avant cet instant, le terme inconnu progressait, gagnait du terrain dans mon esprit, et les rêves d’endormie devinrent des cauchemars éveillés. A tout moment, je pouvais être sous l’emprise d’une chose informe qui m’attirait, et que je voyais, visqueuse et éclatante de saleté, autour de mes hanches.

     

    J’avais toujours cru que la définition du mot « soin » était de guérir quelqu’un physiquement. Qu’une mentalité n’était pas soignable, juste ré-organisable. J’ai pris conscience de mon erreur lorsque Jaden a énoncé ces mots : « Va te faire soigner ». J’ai d’abord pensé que je souffrais éventuellement d’une maladie physique, mais après que mon médecin m’ait affirmé le contraire, je me suis posée des questions.

     

    Puis, j’ai appelé Jaden. Je ne voulais pas que cette dernière phrase soit l’extinction de l’éclat de notre relation. Je ne pouvais pas, après cette année à ses côtés. Cette liberté dont j’aurais pu profiter, je ne la comprenais pas.

    Il a hurlé, j’ai hurlé, nous hurlions et j’ai presque trouvé ça beau. Les mots que j’alignais n’avaient aucun sens, je m’en doutais, mais je ne pouvais les contrôler. Je ne l’écoutais même pas. Il a raccroché.

    Le silence me provoquait. Il y eut une rupture.

    Et après seulement quelques minutes d’inconscience, alors que je fermais les yeux, une soudaine nécessité d’inspirer me prit, et j’ouvris rapidement mes paupières. Une fois mon oxygène consommé, je pris conscience de la gravité de mes actes. Tout était saccagé, tous mes écrits arrachés, toutes les feuilles s’étaient éparpillées sur le sol. J’avais cassé le collier que Jaden m’avait offert et qui valait sans doute une fortune. Les débris ça et là formaient une belle nature morte.

    Je ne m’en souvenais pas.

     

    Je m’allongeai sur le sol, et tout me parut clair, je ne faisais à présent qu’un avec ma névrose. Ce fut à ce moment-là que la révélation apparut sur ma rétine.

    Alors que j’éprouvais un amour inattendu pour mes problèmes psychiques, et que mes bras enlaçaient les débris de mon déséquilibre, une voix nette et suave annonça derrière la porte d’entrée, qu’on demandait à ce que j’ouvre. Ne faisant plus aucun bruit, cette même voix répéta l’annonce, alors que je perdais mon amour. J’avais l’impression d’être une mère indigne à qui l’on annonçait depuis l’entrée d’un supermarché, qu’il fallait qu’elle vienne récupérer son enfant perdu dans les rayons.

    Ils m’attendaient. Et je n’avais plus qu’à aller retrouver ma névrose de l’autre côté de l’entrée. Humiliée. C’est Jaden qui les avait appelés, cela ne faisait aucun doute. Il suffisait de se lever, et de faire quelques pas. Tourner lentement la clé, ne même pas avoir le temps ni la conscience d’ouvrir la lourde porte de bois.

    Et ces visages blancs. J’eus cru que des fantômes venaient me remettre mon amour. C’est dans leurs bras, ces bras forts mais flous qui m’emmenaient loin, que je l’avais retrouvé.

     

    Et comme, lors des premiers jours où je me fis interner, Jaden ne vint pas me voir, j’ai d’abord songé qu’il s’était métamorphosé en ma névrose. C’est ce qui me fit l’aimer encore plus.

     

     

    J’ai alors, parfois, quelques instants de lucidité, qui peuvent durer jusqu’à une heure. Ces moments me brûlent, et pourtant, ces quelques paragraphes en sont les cendres.

     


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    Thé refroidi, sur la table basse.

    Le coton turquoise, étreignant des bras trop maigres.

    Une ombre sur le tapis..

    Sur les murs, le bois, la chaise, la porte.

    Invasion de caresses macabres.

    Comme si la salle s'était métamorphosée en une prison insolente, pleine d'hypocrisie et d'obscénités, en seulement quelques instants.

     

     

      Les réverbérations s'exécutent dans ses pensées trop pesantes. Quelques reflets de lumière éblouissent ses cheveux fins, qui s'éveillent sur ses épaules décharnées. Son ventre ne cesse d'hurler son manque. Elle inspire et sa poitrine s'élève, comme pour laisser son cœur s'aérer quelques secondes, avant de renoncer, expirant alors. Elle s'imagine alors que sa trachée est bouchée par un filet laissant passer la poussière qui s'entasse en ses poumons, mais bloquant les rêves incertains et espoirs dépassés, reconduits à la sortie.

     

       Ses fines mains laissent échapper la pomme qu'elle observait depuis quelques minutes, s'écrasant sur le sol dans un bruit sourd mais perceptible. Frisson. Ses os tremblent légèrement, ses paupières se ferment un peu plus longtemps qu'un clignement ordinaire. Les images qui se forment finissent par définir un alcool, une marche.

     

    Sur les murs, j’observe leurs belles affiches, représentant sourires et formes, « l’anorexie est un combat, faites vous aider ».

    Pourquoi veulent-ils ruiner ma chair ? Je sais mieux que quiconque ce que mon corps demande. Que fais-je dans cette pièce, à attendre qu’on me reçoive pour me réapprendre à penser ? Je n’ai aucun combat à mener.

     

     

    Elle sort.

     

     

    La petite bouteille verte à la main, des vers plein le crâne, une écriture sur la peau. Le fléau du temps qui s'écrase sur mon cerveau.

     Les papillons sales sont secoués par la cadence de ma balade. Leurs ailes s'accrochent à mes côtes, déposant leur laideur sur mes os. Cette vermine creuse mon appétit, mon cœur remonte dans ma gorge, m'empêche de respirer correctement. Les bulles dorées trouvent un passage pour rejoindre l'estomac chétif. L'ivresse étouffe entre mes oreilles. Les sons qui leur parviennent sont troubles, parfois atrophiés, d'autres fois amplifiés. L'orage n'arrange rien à ma sortie tardive, presque nocturne. Sa colère s'effondre entre les branches, on croirait à un combat entre la terre et le ciel. Certaines écailles florales partent se cacher dans l'herbe. Je leur marche dessus. Le creux de mes pas dans la terre mouillée forme la fosse commune où j'enterre mes espoirs piétinés.

     

    Ils m’auront trouvée d’ici quelques heures. J’ai laissé ma discrétion à la maison. Ils vont me dicter mes devoirs, de retrouver ma chair délaissée, retrouver ma raison. Comment pouvez-vous ? Vous ne comprenez pas. 

     

     

    C'est difficile.. Les néons qui t'écorchent les yeux. Une neige superficielle qui glisse sous ta peau, gèle ton écorce, crève tes mouvements. Le chemin droit, en face, qui ne s'éteint jamais, à perte de vue, jusqu'au décès de l'horizon, entre la terre et l'Enfer.

    J'en veux. Encore. Je veux ces hurlements qui se défendent entre les parois de mon crâne. Ces aiguilles qui crispent mes mains et violent mes phalanges. Laissez-moi errer. M'aérer. Et je sens ces sourires de marbre au creux de mes mâchoires. Je les mords au sang, les vidant, les serrant, fort.

    Lever le voile.

     

    Je ne peux me nourrir que de votre attention désintéressée. Mes hanches creusées absorbent vos regards et ce sont vos pensées qui coulent dans mes veines.

     

    Vous ne comprenez pas.


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